« Gabon, Afrique : des intellectuels et des intelligents » publiée samedi sur 241Minutes, les réactions ont fusé. Parmi elles, nous publions celle du citoyen Hance Wilfried Otata qui fait un prolongement des arguments avancés par l’avocate gabonaise. Lecture.

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Contre la confusion et l’imposture intellectuelle. Réaction à maître Paulette Oyane

Contre la confusion et l’imposture intellectuelle. Réaction à maître Paulette Oyane

Suite à la tribune de Me Paulette Oyane Ondo « Gabon, Afrique : des intellectuels et des intelligents » publiée samedi sur 241Minutes, les réactions ont fusé. Parmi elles, nous publions celle du citoyen Hance Wilfried Otata qui fait un prolongement des arguments avancés par l’avocate gabonaise. Lecture.

Il y a plusieurs jours maître Paulette Oyane faisait une sortie sur un média internet (241 minutes). L’avocate au barreau du Gabon portait une attention aux carences des prétendus intellectuels en Afrique. Ces derniers seraient en réalité des diplômés en manque d’intelligence ; des sortes d’automates sans consistance amoureux des titres pompeux. Le scepticisme concernant le statut d’intellectuel ne trouve pas son origine chez la professionnelle du droit.

Diverses interpellations s’étaient déjà signalées contre l’improductivité d’une catégorie d’individus sur qui repose l’espoir de transformation sociale synonyme de développement. D’ailleurs, plus proche de nous, dans le cinéma gabonais, un personnage campé par Philippe Mory affirme que les responsables des déboires de l’Afrique sont « les criquets et les intellectuels » ( Les couilles de l’éléphant d’Henri Koumba Bididi). Cette position fait écho à un scepticisme de plus en plus grandissant contre ces pseudo-sachants.

Nous trouvons que Maître Paulette Oyane se montre mesurée. Au lieu d’indiquer uniquement de l’incapacité, nous irons plus loin en signalant des cas d’imposture. L’Afrique, comme d’autres géographies, souffre de la prolifération de « singes intellectuels » (Dieudonné Essomba) déguisés en intelligentsia alors qu’ils ne le sont point ou qu’ils ont cessé de l’être.

Etat d’une confusion

D’aucun assimile l’intellectuel à un diplômé. Il serait le détenteur d’un certificat dans un domaine précis. Or, il y a des docteurs, des ingénieurs, des techniciens... qui ne le sont en rien. Ils peuvent se montrer talentueux sans pour autant faire preuve d’intellect. Georges Ngal fait observer dans L’errance , la différence entre l’intellectuel et le diplômé. C’est dire toute la subtilité de l’affaire.

 

Des sources africaines sur l’intellectuel : le sage

Le cas du dogon Ogotomeli permet de réaliser que l’homme parvient au statut d’intellectuel, le sage, lorsqu’il destine son intelligence et son esprit à l’observation du réel en vue de le transformer non pas pour son simple plaisir, mais pour le bien-être de tous. Le chercheur béninois Coovi Gomez y voit le fait de penser : une analyse profonde du réel, sa projection dans une imagination féconde et un retour productif à l’expérience pour service au groupe. Ainsi l’intellectuel est celui qui pratique une activité de pensée qui lui commande des résultats opérationnels encadrés par une « éthique » puisque liée au bien être de soi et surtout des autres « soi-même » (la communauté). L’éthique suppose des valeurs telle : la solidarité, l’amour du prochain, justice, le civisme, la droiture, la vérité, l’altruisme, le patriotisme... La dimension éthique est donc capitale.

Qu’il nous soit autorisé un petit détour en France, lieu où ce mot a gagné en popularité durant l’affaire Dreyfus. L’historien Michel Winock fait une présentation détaillée de ce procès ( Le siècle des intellectuels ). Il renseigne comment Maurice Barres utilise ce terme pour designer péjorativement tous les défenseurs de Dreyfus opposés au dictat de l’armée (l’Etat) sur l’officier. En effet, le député de droite élu à Nancy affirmait l’inéluctable culpabilité de chacun devant l’Etat ; même lorsqu’on est innocent. Ainsi, le capitaine Dreyfus devait simplement s’incliner devant l’Etat bien que sa culpabilité ne fût nullement prouvée ; même que des fausses preuves furent fabriquées. Or, Clémenceau, Zola..., partisans de Dreyfus, réagissent en opposant la justice et la vérité comme primat sur l’Etat. Ce dernier doit s’y soumettre et faire la promotion de cette éthique. Le groupe de ceux qualifiés d’intellectuels se distingue donc par un système de valeurs en plus de leur savoir-faire.

Pour revenir au cas de l’Afrique en général et du Gabon en particulier. Maître Paulette Oyane dénonce des individus incapables d’apprécier leur environnement et proclame la victoire du système éducatif colonial : fabriquer des diplômés déconnectés de leur contexte . L’avocate touche un point essentiel en évoquant le colonialisme. Car dans un paradigme africain, aspirer au statut d’intellectuel n’a de pertinence si le sujet échappe à la logique coloniale de l’instruction et de l’éducation. Ce geste initial est ce que Lepresquegrand Bong considère comme le préalable catégorique lorsque l’on veut espérer la construction d’une posture laissant entrevoir les premiers signes d’une pensée intellectuelle. Sans quoi c’est la prison assurée dans la Bibliothèque coloniale , pour reprendre le concept de Valentin Yves Mudimbe ( L’autre face du royaume... ). Or, l’intellectuel est un praticien cultivé de niveau supérieur libre d’opérer des choix, de constituer son référentiel, de s’en détacher tant qu’il garantit un rendu effectif et opérationnel. Il n’est pas contraint d’en appeler à Platon lorsqu’il faut exhumer une pensée philosophique africaine. Il peut s’affranchir de la dictature des amateurs de Montesquieu pour aborder la séparation du pouvoir durant l’antiquité africaine. Et vice versa.

Quant à « l’excuse absolutoire » de certains, celle d’un cursus universitaire n’ayant fourni aucune clé pour comprendre les sociétés dans lesquelles ils vivent..., heureusement qu’elle n’est pas un argument de toute la population des diplômés gabonais ou africains. Sinon nous n’aurions pas l’exemple d’un Joseph Tchougang Pouemi et son Monnaie, servitude, liberté : la représentation de l’Afrique . L’économiste camerounais bien qu’étant passé par le système éducatif colonial est entré en possession de lui-même afin de s’écarter des idéologies dominantes du système politico-financier. Il n’a cessé de défendre une autre vision de la monnaie, de son usage par les pays africains avec un seul but : sortir d’une économie désavantageuse fondée sur l’endettement. Nous évoquerons également Cheikh Anta Diop. Le savant sénégalais n’a ménagé aucun effort pour sortir l’histoire africaine d’une grande nuit inféodée à la pensée coloniale. Celle-ci théorisait l’émergence de la civilisation en Afrique par l’arrivée des Européens. Le travail de Diop fut sanctionné par des livres fournis d’argument et de démonstrations.

Tout ceci pour dire que les prétextes paresseux du système éducatif colonial et les cursus universitaires désaccordés du réel africain ne tiennent plus la route. En effet, si l’on réussit à diagnostiquer un problème, le bon sens voudrait qu’on le résolve. L’ascèse rigoureuse est de mise... Sauf si en réalité, on vit du triomphe de la facilité. Ce n’est pas exclu.

Finalement...

. On n’est guère intellectuel du fait d’un diplôme obtenu au sein d’une institution académique et cela peu importe son prestige. Un exemple clair : Maître Paulette Oyane Ondo n’est pas une intellectuelle au motif d’être une avocate. Toutefois, elle le devient dans la mobilisation et la maîtrise du droit ainsi que de tout autre savoir pour changer la condition des femmes, des hommes, des enfants, etc.

. On peut être un intellectuel sans disposer de diplôme, sans avoir fréquenter une université, un lycée, une école primaire. Le tout est de penser et de rendre le résultat de son acte palpable et opérationnel.

. On peut avoir été un intellectuel et pervertir son statut en délaissant ses valeurs pour diverses raisons. L’argent, la quête de pouvoir sont très souvent les principaux motifs. On devient à ce moment un clerc, c’est-à-dire « un intellectuel de pouvoir ». Ces gens caractérisés par une grammaire au service de la justification, de la crédibilisation des puissants. Les plus radicaux en parlent sous le vocable de « traîtres » ; confère Julien Benda avec son ouvrage La trahison des clercs .

Le temps de la confusion (erreur) et de la forfaiture (faute) n’a que trop duré. Nous devons inexorablement nous en exorciser. Car le grand paradoxe africain, celui d’une terre richissime où un grand nombre de populations rencontre des difficultés, trouve une de ses raisons ici. La prolifération de ces imposteurs de nature multiple : des hommes aux discours pompeux, des hauts diplômes ne fabricant aucun savoir, de grands théoriciens divorcés de la pratique, des esprits dogmatiques...

Tels des ingénieurs en pont et chaussée n’ayant jamais réalisé ni pont ni chaussée... ils ne servent à rien. Si ce n’est mystifier autrui : des vampires !

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